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Toute la nuit, je l'avais entendue tousser. La tête enfoncée dans mon oreiller, je résistais de toute mon âme pour ne pas pleurer. Je donnais d'affreux coups de poing dans le lit. Je n'en pouvais plus. Et cet imbécile de médecin que ne savait rien !

J'étais trop petit. Et elle était trop jeune.

Mon père ouvrit la porte à la volée. Il me trouva à demi étouffé sous la couette. Il s'approcha et essaya de me sortir de là. Je résistai au maximum. Finalement, il réussit à m'extirper des draps et me posa sur le sol. Alors, je me mis à hurler d'une puissance dont je ne me serais pas cru capable:

- Maman va mourir ! Maman va mourir !

- Mais non, tais-toi donc !

Mais je continuais:

- Maman va mourir…!

La gifle que je reçus me coupa le souffle. Il était réellement en colère. Non, maman n'allait pas mourir, disait-il. Il allait chercher le médecin.

"Médecin, mon œil !" avais-je envie de crier.

Je ne pouvais pas, encore une fois j'allais me faire frapper. A la place, je tentai de me convaincre: ma mère était forte. Toute sa vie, cette maladie l'avait dévorée, et pourtant elle était encore là. Elle était bien plus forte que nous tous réunis.

Je sortis de ma chambre et je me rendis dans le couloir. Elle dormait dans la chambre du fond. Je m'approchai silencieusement. Il me semblait qu'elle s'était calmée. A pas de loup, je me glissai dans la pièce.

Le lit était vide.

Je m'approchai. J'avais peut-être mal vu, elle devait bien être là… Je regardai dans tous les sens, rien à faire. Le lit était vraiment vide.

Soudain, une lueur s'alluma à la fenêtre. J'avais à peine levé la tête qu'une ombre passa. J'eus tout de même le temps de reconnaître les yeux jaunes de la Goule de Pleine Lune. Aussitôt, je me mis à hurler. Et papa qui était dehors, et maman… qui avait disparu…

- Ah !

- Eh bien, fit une voix, qu'est-ce que c'est que tout ce bruit ?

Maman venait d'apparaître derrière moi, les yeux rougis, la voix cassée. Mon cœur battait à cent à l'heure. Je ne le sentais même plus, c'était comme s''il vrombissait.

- Alors, pourquoi cries-tu comme ça ?

- Je… Je…

Je déglutis.

- Où étais-tu ?

- Sur le balcon, je voulais prendre l'air. Je vais mieux maintenant…

Elle me raccompagna dans ma chambre et m'aida à me réinstaller dans le lit qui était beaucoup trop haut pour moi à cette époque. Elle ne cessa de me sourire et de me rassurer. Une fois qu'elle fut dehors, je me tournai vers la fenêtre. La partie de la rue que je voyais était vide.

Mais moi, j'avais toujours aussi peur.

Extrait de La Goule de Pleine Lune

Extrait de Mythéa

Il s’écarta pour nous laisser entrer. Silencieusement, je pris place dans la barque.

- Il n’y a aucun risque ?

Charon me regarda comme si je venais de blasphémer, puis avec un sourire moqueur.

- Non, non, aucun risque.

Je tremblais quand la barque glissa sur les eaux qui coulaient jusqu’aux Enfers. La rive s’éloignait, je ne la voyais déjà plus. Les vagues s’abaissaient, l’embarcation tournait, brusquement descendait, chaque cercle que nous formions était un pas vers la mort.

Soudain une main puissante me saisit les épaules. Elle m’aplatissait, serrait, enfonçait ses ongles dans ma chair. J’étais incapable de crier, incapable de souffrir. L’indifférence qui marquait le visage de mes compagnons m’indiquait qu’ils la sentaient aussi. Puis j’eus l’impression qu’une lame aiguisée me coupait en morceau, que des balles frappaient mon crâne. Je mourais de mille morts. Quelle pensée de chercher à se donner la mort soi-même ! Lorsqu’elle venait, elle ne nous prenait qu’une fois. Lorsque nous l’invitions, nous la laissions nous torturer par tous les moyens.

La pluie qui résonnait en haut ne nous atteignait plus tandis que nous tombions dans les abîmes de la terre. Le gris du brouillard devint le noir de l’inconscience, un sentiment de vide, l’absence de maladie, de peur ou de faim. A présent la douleur s’estompait, mais son souvenir restait gravé sur chaque parcelle de nous-mêmes. Il n’y avait rien aux alentours, seules des ombres mouvantes et anonymes cherchant un retour à la lumière. Dans l’obscurité, je ne voyais rien. Juste une foule de formes fines froissées par leur nombre.

Mais il n’y avait rien.

Rien après la mort, rien après la vie. Un amas d’âmes perdues dans un monde de silence, sans chaleur ni apaisement. Ce n’était pas le repos éternel, c’était l’inexistence. Ces ombres ne sentaient pas, elles ne pensaient pas. Elles avaient fini leur vie, ou y avaient mis fin, elles n’étaient plus rien. Mais elles se tournaient vers le haut, elles cherchaient continuellement la surface, les rayons du soleil. Ou bien le Paradis, pour celles qui y avaient cru.

Je me penchai légèrement. Aussitôt, Charon me frappa violemment avec sa rame. Je me rassis immédiatement sous son regard sévère.

- Veux-tu y rester ? Les vivants n’ont rien à faire là ! Si tu n’es pas assez prudente, tu ne ressortiras pas. As-tu vraiment l’intention de devenir comme eux ?

Je jetai un rapide coup d’œil aux ombres avant de secouer résolument la tête. Non, pour rien au monde je ne souhaitais me retrouver dans leur état avant l’heure. Leurs mouvements coordonnés donnaient l’impression qu’un seul esprit les animait toutes. Et leurs invisibles regards nous suivirent jusqu’à ce que nous soyons trop loin sous terre pour encore espérer toucher le fond.

De là, nous pouvions apercevoir les ténèbres du Tartare où sont châtiées les âmes de ceux qui ont osé défier les dieux. Gouffre immense et terrifiant, un trou noir dans l’obscurité, on pouvait entendre des plaintes imaginaires en sortir.

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